Les bastides |
La météo du jour —> |
Dans toute la France, la célébration du temps
du Moyen - Âge est en vogue (expositions, visites guidées, spectacles "à la
médiévale"...).
La vallée du Dropt a la chance d'être riche de ses bastides du XIIIème
siècle; elle doit profiter de cet engouement pour remettre à l'honneur son
histoire.
Sommaire de la page : Les bastides du Dropt - Création des bastides du Dropt - Fondation d'une bastide - Visage actuel
Les bastides du Dropt |
Du début du XIIIème siècle
au milieu du XIVème siècle naissent et s'organisent
dans les pays du Sud - Ouest de la France, à des fins stratégiques et économiques, des centres de peuplement et d'échanges commerciaux, des
"villes nouvelles" : les bastides.
Les bastides sont le fruit d'une politique originale de
colonisation de l'espace, volontariste, égalitaire et porteuse de libertés.
Pour la vallée du Dropt et ses abords, la carte ci-dessous illustre l'ampleur du programme de fondations de bastides.
Parmi ces projets, il y aura des réalisations non abouties, des échecs, mais aussi et surtout des réussites constituant aujourd'hui un patrimoine médiéval remarquable :
La fondation des bastides de la vallée du Dropt, vallée aux limites de la Guyenne anglaise et de l'Agenais, est directement liée à l'Histoire de l'Agenais.
1195 : Raimond VI, comte de Toulouse, épouse Jeanne d'Angleterre (sœur de Richard Cœur de Lion) qui apporte l'Agenais en dot. L' Agenais est ainsi intégré au Comté de Toulouse.
1229 : Louis IX (Saint-Louis), roi de France, impose le traité de Paris au Comte de Toulouse Raimond VII qui a été favorable à l'hérésie cathare. Raimond VII reconnaît la suzeraineté de Louis IX et conserve l'Agenais.
1242 : Jeanne de Toulouse, fille de Raimond VII, épouse Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX. Ce mariage constituait une des clauses du traité de Paris.
1249 : Décès de Raimond VII : Alphonse de Poitiers devient par succession Comte de Toulouse et à ce titre prend possession de l'Agenais.
Au milieu du XIIIème siècle, la vallée du Dropt est ainsi au cœur d'une ligne de démarcation floue séparant les zones d'influence du Comte de Toulouse (frère et vassal du roi de France) et du duc d'Aquitaine - roi d'Angleterre.
Création des bastides du Dropt |
1249 - 1271 : phase des bastides alphonsines
Alphonse de Poitiers inaugure une politique de création
de "villes nouvelles" en Agenais, essentiellement pour consolider son
aire d'influence face au Périgord anglais.
A
cette stratégie de jalonnements frontaliers, s'ajoutaient des raisons "locales" :
- les forêts recouvrant les rives du Dropt
étaient des zones d'insécurité, abritant des bandes de pillards qui désolaient le
pays. L'implantation d'une cité sous la protection du souverain devait ramener
l'ordre et la sécurité dans la région.
- les nouveaux habitants étaient amenés à
défricher les environs de la bastide; la terre devenait source de revenus
pour tous : souverain, donateurs et donataires.
- les populations qui s'établissaient dans la
bastide provenaient en partie des seigneuries voisines; ceci entraînait un affaiblissement
de la puissance de ces seigneurs indociles et prédateurs.
- certaines bastides, conçues ou aménagées pour servir de
place forte, pouvaient commander la vallée du Dropt, zone de
pénétration ennemie aisée.
Alphonse de Poitiers fonde dans la vallée du Dropt les
bastides de Castillonnès (1259),Villeréal (1267), Eymet (1270).
A proximité de cette vallée, participant des mêmes
vues, il fonde Villeneuve-sur-Lot (1253), Monflanquin (1256),
Sainte-Foy-la-Grande (1255-56), Villefranche-du-Périgord (1261).
Pendant cette même période, les Anglais parent au plus pressé pour verrouiller l'accès à Bordeaux : fondation de Monségur (1263-65) et de Sainte-Eulalie-de-Puyguilhem.
1271 - 1279 : phase d'incertitude politique
Alphonse de Poitiers et son épouse décèdent sans descendance en 1271. Le roi de France Philippe III le Hardi s'empare de l'Agenais alors que le traité de Paris de 1229 prévoyait dans ce cas le retour de l'Agenais dans la Guyenne anglaise. Le roi d'Angleterre cherche cependant à être rétabli dans son droit.
La politique des bastides d'Alphonse de Poitiers est poursuivie dans le Comté de Toulouse par l'Administration royale sous l'autorité du Sénéchal Eustache de Beaumarchais. Toutefois la situation conflictuelle entre Français et Anglais bloque du côté Français le processus en Agenais, bien pourvu il est vrai par Alphonse de Poitiers; côté Anglais, on note seulement la fondation de la bastide royale anglaise de Pellegrue (1270-72) en bordure Nord de la vallée.
1279- 1300 : phase des bastides royales anglaises
En 1279, Philippe III le Hardi est contraint de rendre l'Agenais au roi d'Angleterre Edouard Ier; la vallée du Dropt est ainsi intégrée entièrement à la Guyenne anglaise.
Edouard Ier, doutant peut-être de la loyauté des bastides alphonsines, confie à Jean de Grailly, Sénéchal de Guyenne l'intensification de sa politique de création de bastides royales : en vallée du Dropt, ce seront Monpazier (1284), Roquépine (1285), Fonroque (1284), Labastide-Monestier (1284), Miramont-de-Guyenne (1278-86), Sauveterre-de-Guyenne (1281-83); au Nord-Est de la vallée : Beaumont et Molières.
Après 1300 : phase finale de la fondation de bastides
C'est bien la fin du phénomène des bastides : on va entrer dans les horreurs de la guerre de Cent Ans ... Un seul projet sera mené à bien : Lévignac (1305)
Fondation d'une bastide |
Cadre juridique |
La fondation
résultait de la conclusion d'un contrat de
paréage
entre un seigneur ou un établissement ecclésiastique, possesseur du sol, et
une autorité - roi, sénéchal, seigneur - assumant l'implantation, le
peuplement et la protection du nouvel habitat. Son administration et les profits
de son exploitation étaient partagés suivant diverses modalités.
Le contrat de paréage est considéré comme l'acte de naissance de la bastide.
Au contrat de paréage
s'ajoutait ensuite une charte de
franchises
et de
coutumes
,
ensemble de privilèges destinés à attirer le plus grand nombre possible
d'habitants.
Les
nouveaux venus étaient tenus de construire leur logement sur un plan prédéfini et une
durée limitée (sous peine d'amende) et de participer aux travaux d'intérêt
collectif (église, halle, éventuellement remparts et portes fortifiées).
L'administration de la bastide était confiée à un
baile, représentant du fondateur et muni de pouvoirs étendus
dans les domaines de la justice et de la gestion. Le baile était entouré des consuls,
magistrats municipaux nommés par les jurats, "bourgeois"
représentant les habitants de la ville.
Un exemple : Castillonnès
Contrat de paréage en mars 1259 entre les seigneurs donateurs,
Elie, abbé de Cadouin, Arnaud et Bertrand de Mons, d'une part, et Guillaume de
Bagnols,
Sénéchal d'Agenais et de Quercy, pour Alphonse de Poitiers, Comte de Toulouse,
d'autre part.
Charte de coutumes en août 1266, qui instituait une administration de six
consuls et vingt quatre jurats; cette charte fut confirmée en août 1272 par le
roi Philippe le Hardi.
Choix du site |
Il n'existe pas de règle stricte au choix du site d'implantation d'une bastide; les fondateurs ont saisi les
opportunités qui leur étaient offertes : en général un site vierge, parfois
un site de peuplement préexistant
(Villeréal).
On peut distinguer deux types dans les bastides du Drot:
Plan d'une bastide |
Toutes les bastides du Dropt sont tracées sur le modèle aquitain. Monpazier est le type même de la bastide conçue sur ce modèle.
L'emplacement ayant été choisi, des experts-jurés tracent les limites de la future cité, structurée ensuite autour de la place centrale sur un plan régulier, basé sur l'utilisation du quadrillage orthogonal (sauf exigences topographiques). Les rues longitudinales ou "carreyras" et les rues secondaires orthogonales ou "traverses" (plus étroites) découpent ainsi des îlots rectangulaires et des îlots carrés
Le modèle aquitain s'adapte, en se déformant, aux exigences topographiques du site. Il en est ainsi des bastides de Castillonnès et Monségur, établies sur un éperon au-dessus de la vallée du Dropt.
Ci-dessous, les photographies aériennes (copies d'écran - source : IGN geoportail)
Ailleurs (Sauveterre-de-Guyenne, Villeréal), les traverses ont pris en pratique plus d'importance que les longitudinales et ce développement transversal de la bastide lui a donné une structure en forme de losange.
Ci-dessous, les photographies aériennes (copies d'écran - source : IGN geoportail)
Les îlots sont recoupés en leur milieu par des ruelles
piétonnières, les "carreyrous" (Monpazier, Villeréal,
Castillonnès, Eymet) ou "ruets" (Monségur) ou "carrerots"
(Monflanquin), desservant les arrières des habitations et
affectant un tracé caractéristique en T aux abords de la place.
Ces îlots sont lotis en parcelles, à l'origine identiques
(égalitarisme) : à
Monpazier par
exemple, 4 toises de large (environ 8 m, portée d'une poutre
tirée d'un arbre entier) sur 10 toises de
profondeur. Les habitations sont séparées les unes des autres par les "andrones",
espaces très étroits destinés à gêner la propagation des incendies et à recueillir les eaux de
pluie, les eaux usées et ... les égouts des latrines.
Les parcelles les plus recherchées procuraient une façade
donnant sur la place; elles étaient occupées par des commerçants et des
artisans (retrouvés également sur les "carreyras) et par
"l'élite" de la population (les consuls par exemple). Les parcelles
d'angle qui offraient de la lumière sur deux façades étaient également
appréciées.
Le
rez-de-chaussée de ces demeures était dévolu aux activités professionnelles
et d'échange, l'étage au logement. Sur la place, l'étage était souvent
accessible directement par un escalier extérieur (parfois intérieur aux
couverts :
voir image); les lieux de travail et de vie étaient ainsi nettement séparés.
la place
Au cœur de la bastide, la place, carrée, bordée de maisons à arcades formant une rue couverte ("les couverts"). Elle est l'élément principal de la bastide, le centre d'échange et de communication : elle tient lieu de forum et est dévolue aux marchés (cette dernière fonction a perduré) .
la halle
Au centre de la place, une halle
abritant au premier étage la maison consulaire. Les carreyras et traverses rejoignent la place par les coins; l'accès à la place se
fait par un passage en biais, "une cornière" (aujourd'hui, les cornières
désignent souvent les couverts eux-mêmes). Bâtiments surtout utilitaires
(couverts pour les marchés), les halles anciennes ne comportaient généralement
pas d'ornementation; elles possédaient par contre de magnifiques charpentes au
savant agencement.
La plupart du temps, la halle a disparu (incendie ou destruction); une
exception : la splendide halle de Villeréal. L'anachronisme de la halle de la bastide de
Monségur, à charpente métallique (1897), est controversé ...
l'église
L'église occupe l'extrémité d'un îlot attenant à la place par un angle. L'église était évidemment d'abord le lieu du culte, mais aussi un lieu d'assemblée et parfois un lieu de refuge contre des attaques extérieures (église fortifiée de Villeréal).
la propriété non bâtie
A côté de cette vocation urbaine, le plan de fondation de la bastide impliquait une réforme agraire qui bouleversait les structures de la propriété : à proximité immédiate des limites de la zone bâtie, attribution à chaque habitant d'un lopin à destination de jardin (jardins-ouvriers avant l'heure); au delà, attribution d'une "terre" en libre culture, d'une superficie d'un "journal" (c'est à dire autant de terrain qu'une paire de bœufs pourra en labourer en un jour), et parfois d'une terre à vigne (charte de Monségur).
Les systèmes défensifs
Le traité de Paris de 1229 accordait aux Comtes de Toulouse la possibilité de fonder des bastides "à la condition qu'elles ne soient pas fortifiées". De ce fait, les bastides alphonsines du Dropt ne comportaient à l'origine aucun système défensif.
Il apparut rapidement que l'insécurité générale et les risques de conflit franco-anglais menaçaient l'existence même des bastides. Des murs de défense (en pierres ou en briques, de 1 à 2 mètres d'épaisseur) avec portes fortifiées (de structure classique : herse, assommoir, porte intérieure à vantaux) et un château fort furent édifiés, généralement dans la première moitié du XIVème siècle; seule, ici, la bastide de Villeréal ne reçut jamais de défenses en dehors de son église.
Les bastides royales anglaises postérieures à 1279, à vocation militaire du fait des risques de nouveaux conflits entre Anglais et Français, sont munies de défenses originelles.
Visage actuel |
Plans actuels intra-muros (source : cartes IGN à 1/25 000) des bastides du Dropt : Cliquer sur la miniature pour obtenir l'image agrandie.
Au milieu du XIVème siècle, les premiers affrontements de la Guerre
de Cent Ans frappent les bastides du Dropt, à peine un siècle après leur
fondation : pas de bataille rangée mémorable mais une guerre de sièges et
d'escarmouches où bastides et châteaux changent de mains à plusieurs
reprises.
La vallée est le lieu de massacres et de dévastations (pillages,
incendies, destructions des défenses, etc...) qui imposent aux populations de
terribles souffrances s'ajoutant à la Grande Peste de 1348.
Un siècle après la fin de cette guerre, les Guerres de Religion désolent la région, en partie gagnée par les idées de la Réforme : nouvelles horreurs, inspirées par les haines religieuses réciproques entre seigneurs. Blaise de Monluc, Lieutenant Général de la Guyenne, s'illustra tristement dans ses opérations de maintien de l'ordre (il y gagna un surnom : Monluc, le "boucher royaliste").
La richesse de la région a permis chaque fois aux bastides de renaître , mais le patrimoine bâti médiéval subsistant est réduit : des rez-de-chaussée à arcades en pierre, des étages à pans de bois (datant plutôt des XVème et XVIème siècles), quelques systèmes de défense.
Après un long oubli, les bastides connaissent un regain d'intérêt : réhabilitation des sites et développement d'un tourisme culturel. Ces bastides constituent un patrimoine exceptionnel :
A l'exception de quelques rares fondations qui ont complètement échoué, les bastides du Drot forment aujourd'hui la trame des gros bourgs de la vallée, chefs-lieux de canton, offrant services et marchés hebdomadaires.
La bastide de Monpazier constitue l'ensemble architectural le mieux conservé.
Le patrimoine architectural de Monpazier (fiches et photographies) : clic => voir
Depuis 1983, le Centre d'études des bastides (antenne Aquitaine : B.P 3 - 47150 MONFLANQUIN) se consacre à l'étude et à la vie des bastides, à la mise en place des conditions pour que vivre en bastide soit possible et recherché. Il a suscité la création à Monpazier de l' Atelier des bastides, lieu d'accueil, d'information et de travail sur les bastides.
Bibliographie :
Bastides, villes nouvelles du Moyen-Âge. A.Lauret, R.Malebranche, G.Séraphin. Ed.Milan
Périgord. J.P Leray Ed. P.Fanlac
Connaîtreles bastides du Périgord. J.Dubourg. Ed. Sud-Ouest
Connaître les bastides du Lot-et-Garonne. J.Dubourg. Ed. Sud-Ouest
Notice historique sur Castillonnès. J.J Oscar Bouyssy. Ed. du Roc de Bourzac
Publications du Centre d'étude des bastides :
(antenne Aquitaine : B.P 3
- 47150 MONFLANQUIN)
info Bastide, bulletin du Centre d'étude des bastides,
la Gazette des bastides